Pierre Thévenin : Au gui l'an neuf
C’est le premier jour de janvier,
Au gui l’an neuf,
Que bêtement, sans me méfier,
Je tombai veuf,
Je tombai veuf ;
En deuil, j’allais à petits pas
Au gui l’an neuf,
Quand le destin me rattrapa
Sur le Pont Neuf,
Sur le Pont Neuf .
Là, sans ambages m’accosta,
Au gui l’an neuf,
Comme on n' dit pas dans le Gotha,
Une autre meuf,
Une autre meuf
Lui, me jugeant plutôt nanti,
Au gui l’an neuf,
Me déclara d’un ton gentil
Aimer les veufs,
Aimer les veufs.
Devant son manège piteux,
Au gui l’an neuf,
Je lui répliquai : « Va donc te
Fair' cuire un oeuf,
Fair' cuire un oeuf ! »
Elle insista, je l’agrippai,
Au gui l’an neuf,
Et la jetai du parapet
Sous le Pont Neuf,
Sous le Pont neuf.
Elle en mourut, la chose fit,
Au gui l’an neuf
Sur la populace ravie
Un effet boeuf,
Un effet boeuf.
A l'échafaud je fus conduit,
Au gui l’an neuf,
Comm' certains disent aujourd'hui,
Entre deux keufs,
Entre deux keufs.
Tout ébahi, à l’heure ultime,
Au gui l’an neuf,
Je vis venir ma légitime
Remise à neuf,
Remise à neuf
Car son trépas, en vérité,
Au gui l’an neuf,
C’était juste pour me tester,
C’était du bluff,
C’était du bluff.
Quoiqu’elle n’eût manigancé,
Au gui l’an neuf,
Rien de ce qui s’était passé
Sur le Pont Neuf,
Sur le Pont Neuf,
Elle songea, tout compte fait,
Au gui l’an neuf,
Qu’en perdant le veuf elle avait
L’argent du veuf,
L’argent du veuf
Et, trouvant à ce matin blême,
Au gui l’an neuf,
Comme on dit dans les HLM,
Un air de teuf,
un air de teuf,
A ma mère elle fit gaiement,
Au gui l’an neuf :
« Votre fiston, belle-maman,
Vraiment quel oeuf,
Vraiment quel oeuf ! »